Ceux qui avaient poussé un peu trop l’affiliation
Deep Dot Web ne se contente pas seulement de signaler des marchés noirs, il touche également de juteuses commissions sur les achats réalisés dessus.
Bonjour,
Bienvenue pour la suite de cet épisode de Pwned sur l’annuaire Deep Dot Web. Mais tout d’abord, si vous n’êtes pas inscrit à cette newsletter sur le cybercrime, voici le formulaire pour recevoir directement dans votre boîte mail les prochaines histoires. Et n’oubliez pas, vous pouvez parrainer des proches.
La semaine dernière, je vous parlais donc du lancement de Deep Dot Web. Consacré au dark web, il est hébergé à la fois sur le web normal et sur un site en .onion. Il y a même un compte Twitter. Sur le site, on retrouve des articles, des mèmes, des liens vers des vidéos comiques mais surtout une liste des marchés noirs avec des notes et les adresses permettant de les visiter.
Les articles les plus populaires, en janvier 2016, plus de deux ans après la création du site, sont relatifs à la dénonciation d’un prétendu crowdfunding pédopornocriminel, un comparatif des VPN, ces réseaux privés virtuels censés anonymiser votre navigation, et un papier sur l’arnaque à la sortie d’Evolution, un marché noir. Au fil des années, cet annuaire va gagner en notoriété tout en restant très discret sur lui-même. Il sert parfois de source à la presse spécialisée, mais sans devenir lui-même un objet journalistique.
Et pourtant, il y a certainement une histoire à raconter. Comme le rappellent ces chercheurs dans une étude, le site s'est “rapidement positionné en tant que principale source d’informations liées aux activités des crypto-marchés”, en tenant à jour des listes et en diffusant des entretiens avec les administrateurs des marchés noirs. Se taillant ainsi, poursuivent-ils, une “place de choix dans l’écosystème du darknet”.
Choisir de dédier un site aux activités interlopes du web n’est pas neutre. Bien évidemment, en parler ne veut pas dire qu’on approuve, la preuve par cette newsletter. Mais on aimerait en savoir plus sur les motivations des administrateurs de Deep Dot Web. Est-ce que ce sont des libertariens fascinés par le libre échange dans la veine de Ross Ulbricht, ou tout simplement des geeks opportunistes qui ont comblé un manque d’information sur ce sujet de niche que représente le dark web?
Début mai 2019, on va avoir la réponse, et elle est un peu différente de ce à quoi on pouvait s'attendre. Tout commence par une nouvelle page d’accueil au ton diamétralement différent. Les visiteurs de Deep Dot Web sont accueillis par cette bannière ornée des logos du ministère de la justice américain et d’une ribambelle de polices européennes. “Ce site a été saisi”, précise en lettres rouges l’image, pour ceux qui n’auraient pas compris.
A première vue, on pourrait trouver que c’est un peu fort de café. “De quel droit? Ce n’était qu’un annuaire des markets! Et sur ces markets on trouvait des produits légaux aussi”, s’indigne par exemple l’un des membres du forum d’usagers de drogues Psychoactif. Poursuivre un site parce qu’il parlerait de services illégaux, même de façon très détaillée par le biais d’un annuaire semble en effet juridiquement bancal. Cela pourrait se faire mais le résultat serait très incertain. Les accusés pourraient en effet se défendre en rappelant qu'ils ne font qu'exercer leur liberté d'expression.
Mais ce n’est pas ce qu’on reproche aux administrateurs de Deep Dot Web. Si vous vous intéressez à l’économie de la presse, vous savez qu’il existe un modèle économique controversé qui a déjà fait ses preuves, l'affiliation. Le journaliste Maxime Loisel vient justement d’en parler. Pour augmenter leurs recettes, des sites de presse publient des guides d’achat ou des articles sur divers produits. Si vous cliquez sur le lien et que vous achetez le produit en question, l’éditeur touche une petite commission sur la vente.
Après tout, si vous avez fait l’effort de tester un produit et que des gens l’achètent ensuite, pourquoi ne pas toucher ainsi cette commission? Sauf qu’en pratique, comme l’écrit Maxime Loisel, “la majorité des produits vantés ne sont jamais réellement testés”, avec “des textes creux et interchangeables copiés paresseusement depuis les fiches produit ou les avis clients”. Bref, ce genre de contenu est bien souvent trompeur et n’apparaît pas comme ce qu’il devrait être, de la publicité.
Or comme l’explique la justice américaine, Deep Dot Web a fait la même chose avec les marchés noirs. L’annuaire avait poussé d’ailleurs très loin le concept d’affiliation : il ne touchait pas seulement une commission sur une vente réalisée, il touchait une commission allant de 2% à 4% sur chaque achat associé aux comptes créés via son lien de parrainage.
23,6% des ventes réalisées sur AlphaBay, le site numéro un à l’époque, ont ainsi donné lieu à une commission. Cette proportion s’élevait à 47% pour Hansa. C’est énorme au vu de l’ampleur de l’activité de ces marchés noirs ! Mais les administrateurs de Deep Dot Web ont visiblement oublié de se questionner sur les problèmes légaux que pose un tel service de publicité à une activité criminelle.
En tout, selon la justice américaine, Deep Dot Web a ainsi accumulé grâce à ce système de commission environ 8000 bitcoins en six ans. Soit l’équivalent de 15 millions de dollars, une manne financière qui, étrangement, a ensuite été dissimulée dans une myriade de comptes.
On en reparle la semaine prochaine.
Bonne journée,
Bonne journée,
Gabriel
Relecture: Mnyo
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Sources
Dark Web Market Disappears, Users Migrate in Panic, Circle of Life Continues
Les interventions policières sur les facilitateurs du crime
Le FBI fait tomber Deep Dot Web, un important annuaire du dark Web