Ceux qui écoutaient les répondeurs des messageries mobiles (1/3)
En 2011, le célèbre tabloïd anglais News of the World ferme ses portes après avoir été pris la main dans le sac.
Bonsoir,
Bienvenue pour ce dernier épisode de cette saison de Pwned ! Avant de commencer ce récit, un bref bilan sur cette saison 2. Merci tout d’abord pour votre fidélité, vous êtes désormais plus d’un millier d’abonnés, grâce au super coup de pouce du podcast NoLimitSecu.
Cette newsletter est toujours aussi passionnante à faire, et avec Mnyo, le fidèle relecteur de Pwned, on vous donne donc rendez-vous pour une saison 3 à partir de septembre prochain. Le pitch reste le même, des histoires de cybercrime pour vous faire frissonner le soir, avec un rythme d’environ un épisode par mois. Mais avant toute chose, si ce n’est pas encore le cas, voici le lien pour vous inscrire.
Ce soir, je vais donc vous parler d’une histoire d’espionnage à la fois massive, limitée et très simple. J’ajoute enfin que cette histoire a un goût d’inachevé, on verra ça à la fin de cet épisode.
Tout commence avec un drame sordide. Ce 21 mars 2002, c’est une journée comme les autres pour Amanda “Milly” Dowler. Dans l’après-midi, cette adolescente anglaise de 13 ans quitte son école, Heathside School, à Weybridge, dans le sud-ouest de Londres. La banlieusarde va prendre son train. Mais elle descend un arrêt plus tôt, à Walton-on-Thames, pour goûter avec une copine. Elle appelle son père pour le prévenir qu’elle reviendra à la maison plus tard. Puis elle quitte sa pote et rentre chez elle à pied.
Il est 16h08, on ne la reverra plus jamais en vie.
Ses parents préviennent la police, une enquête est rapidement ouverte. Sa disparition suscite un intense intérêt des médias. Milly Dowler est jeune et souriante, elle avait la vie devant elle et on ne sait pas ce qui a pu lui arriver. C’est typiquement le genre de fait-divers qui passionne la presse et ses lecteurs. Les parents de la jeune fille lancent d’abord un appel pour qu’elle revienne à la maison, puis ils appellent à l’aide et publient des vidéos dans l’espoir de susciter un témoignage.
Sally, la mère, donne ainsi une interview exclusive à un célèbre tabloïd anglais, News of the World, une façon de lancer une bouteille à la mer. “Si Milly franchissait la porte, je ne pense pas que nous serions capables de parler. Je pleurerais juste des larmes de joie et je lui ferais un gros câlin.” Après tout, ils ont eu plusieurs indices leur laissant penser que leur fille est vivante. News of the World avait été ainsi sur la piste d’une agence de recrutement, qui, après la disparition de l’adolescente, avait étrangement appelé sur son mobile pour l’avertir que des entretiens d’embauche allaient commencer.
Il y a également l’étonnant vidage de la messagerie vocale du téléphone portable de Milly, quelques jours après sa disparition. Des anciens messages avaient été supprimés. Ce qui suggérait que l’adolescente était toujours en vie et qu’il pouvait s'agir d’une fugue. Soit autant de bouées de sauvetage pour les parents qui veulent s’accrocher à l’espoir de la retrouver vivante. Et ils y croient: en juin, ils lui envoient des SMS pour son anniversaire. La police anglaise les met pourtant en garde, les enquêteurs soupçonnent déjà quelle est l’issue la plus probable de cette affaire de disparition. Ils ont malheureusement raison.
Le 20 septembre 2002, le corps de l’adolescente est découvert à 48 kilomètres de son domicile. Il faudra encore huit longues années pour que l’enquête aboutisse, avec la mise en examen d'un certain Levi Bellfied pour meurtre et enlèvement. Son procès dure un peu plus d’un mois, à la fin du printemps 2011. Le sinistre personnage, déjà condamné par le passé pour le meurtre de plusieurs femmes, écope cette fois-ci de la réclusion à perpétuité.
Ok, Milly Dowler s’etait volatilisée mais elle avait en fait été victime d’un dangereux maniaque. C’est un drame, mais ce n’est pas vraiment cette enquête qui nous intéresse ce soir. Vous vous souvenez, cette histoire de messages supprimés sur le répondeur téléphonique mobile qui avaient donné de l’espoir à la famille? On sait désormais que cela ne pouvait pas être Milly, déjà morte.
Eh bien, le 4 juillet 2011, The Guardian dévoile cette facette inédite du dossier. On apprend alors que des employés du News of the World, le tabloïd, sont parvenus à accéder à la messagerie de la jeune fille et seraient à l'origine de la suppression des messages!
Rembobinons l’affaire Milly Dowler. Dès les premiers jours de sa disparition, sa messagerie vocale est saturée de messages. Cela empêche l’enregistrement de nouveaux appels sur le répondeur. La suppression des anciens messages permettrait de faire de la place aux nouveaux, et qu’importe si ça donne des espoirs fous à la famille ou si cela gêne les investigations policières.
Comme le racontera la police, il arrive que des auteurs de meurtre ou d’enlèvement laissent des messages à la personne disparue. C'est pour eux une façon de se disculper, en témoignant de leur compassion ou en faisant semblant de n’être au courant de rien. Ainsi, pour les enquêteurs, tout message laissé, même le plus anodin, peut être un indice. Qui sait quel sera le fil qui leur permettra de résoudre l’affaire? En fouinant dans la messagerie vocale de la disparue pour obtenir un scoop, les journalistes peuvent donc faire capoter les investigations.
Pour les plumes du tabloïd, c’était au contraire une façon de se brancher directement sur une matière première particulièrement émouvante, comme des messages de proches implorant Milly de revenir ou de donner un signe de vie. C'est aussi grâce à cet accès que les journalistes de News of the World vont pouvoir sortir cette histoire d’agence de recrutement qui va fournir la matière à un feuilleton. Au final, cette piste était bidon. L’agence de recrutement avait mal noté le numéro de la personne à rappeler, tout simplement. Mais entre-temps, ça a fait vendre du papier.
Que la presse se trompe en racontant n’importe quoi, cela arrive. C’était même clairement assumé, comme cette maxime qu’on prête à un ancien ponte de la presse papier: une rumeur, puis un démenti, ça fait deux infos. Mais là, la nature du scandale est tout autre. Vous l’avez compris, le News of the World a piraté une messagerie privée pour dénicher de l’info. Mais surtout, le journal l’a fait au détriment de parents désespérés. C’était une “effraction sans scrupule dans le chagrin intime”, dira la mère.
Qui veut encore vendre ce journal, qui avait lancé la success story anglaise du magnat des médias Rupert Murdoch, ou y acheter de la publicité? Des détaillants annoncent qu’ils ne vendront plus le canard, tandis que des gros annonceurs retirent leurs campagnes de pub du tabloïd, un mastodonte de la presse pourtant édité à 2,6 millions d’exemplaires le dimanche. Le scandale est si énorme qu’en quelques jours le sort du journal est plié. 168 ans après sa création, News of the World ferme ses portes.
Parce que le tabloïd n’en était vraiment pas à son coup d’essai.
La suite la semaine prochaine,
Bonne soirée,
Gabriel
Relecture: Mnyo
PS: L’histoire vous a plu? Si vous voulez me payer un café, vous savez ce qu’il faut faire (bc1qhx49fpxcnlpe35z4z2j4wmrazpvz7a3ejm4rex).
Sources
Milly Dowler torment revealed by family
News International and Phone-hacking
Missing Milly Dowler's voicemail was hacked by News of the World