Ceux qui écoutaient les répondeurs des messageries mobiles (3/3)
Le News of the World était-il vraiment le seul tabloïd à espionner les messageries des téléphones mobiles?
Bonsoir,
Bienvenue pour la fin de cet épisode sur le piratage des messageries anglaises. Avant de reprendre le fil de notre histoire, si ce n’est pas encore le cas, voici le lien pour vous inscrire.
La semaine dernière, je vous parlais donc de la façon dont des messageries mobiles anglaises étaient piratées, un espionnage journalistique illégal qui a entraîné la fermeture d’un puissant tabloïd, News of the World, en 2011.
L’affaire fait scandale. Pourtant, un détective privé avait déjà été condamné quatre ans plus tôt pour ce genre de pratiques. Il s’agit de Glenn Mulcaire, et il sera au centre de la nouvelle enquête.
Né en 1970, ce détective doit d’abord sa notoriété à ses talents d’attaquant. Il officiait dans le club de foot AFC Wimbledon, où on l’appelait “Trigger”. Pour l’anecdote, sa volée de l’extérieur du pied gauche est le premier but de la jeune histoire de son club. Mais c’est surtout un spécialiste de l’ingénierie sociale, le genre de filou qui sait obtenir une information sensible en se faisant passer pour un autre.
Et il est si bon dans ce domaine qu’il va être grassement payé par News of the World. Il travaille ainsi pour le tabloïd à partir de 2002 et signe un contrat à 105 000 livres sterling par an, sans doute le double réellement, pour des missions “d’assistance et de recherche”. Qu’est-ce que ça veut dire exactement? Vous l’avez compris, il s’agissait de trouver les numéros de portables et d’identifier des codes pin. Il aurait ainsi eu plus de 4000 cibles, des membres de la famille royale, des footballeurs, ou encore des anonymes qui se sont retrouvés au cœur de l’actualité - des proches des victimes des attentats de Londres, en 2006, ou des soldats morts lors d’une opération militaire.
On a une assez bonne vue de ce qu’il faisait grâce aux 11 000 pages de notes retrouvées dans des sacs poubelle en 2006, lors de sa première arrestation. Ces documents vont être exploités à nouveau cinq ans plus tard, à la réouverture des investigations. L'opération Weeting, le nom de code donné à cette nouvelle enquête, va finalement se solder en 2015 par 41 arrestations et neuf condamnations. La plupart des personnes arrêtées sont des employés de News of the World ou d'autres magazines appartenant au même groupe de presse, le groupe News International dirigé par la famille Murdoch.
La police n’a pas lésiné sur les moyens, avec une enquête qui a coûté 41 millions de livres sterling (48 millions d’euros aujourd’hui). Mais si elle a mis les bouchées doubles c’est aussi parce qu’elle avait quelque chose à se reprocher. Car a posteriori, la chronologie est gênante pour la police britannique. On l’a vu, l’espionnage des messageries mobiles était déjà connu de la justice, avec la condamnation de Glenn Mulcaire et du chroniqueur royal du News of the World en 2007 pour l’espionnage des messageries mobiles de l’entourage de la famille royale.
Le tabloïd assure alors qu’aucun autre journaliste n’est impliqué et que Glenn Mulcaire a agi à leur insu.
L’affirmation est difficile à croire. Elle est d’ailleurs démentie quelques années plus tard. Une enquête du Guardian en juillet 2009 montre ainsi que le News of the World a déboursé plus d’un million de livres sterling pour solder d’autres affaires gênantes du même genre.
Pourquoi donc n’y a-t-il pas eu dès 2006, ou au moins en 2009, une enquête plus large sur les mauvaises pratiques des journalistes du tabloïd? La police anglaise a-t-elle été trop pressée de clôturer les investigations? Selon le New-York Times, l’une des explications de l’absence de curiosité de la police pourrait se nicher dans l’espionnage des messageries de policiers. Une façon d’obtenir des informations compromettantes pour les contrôler…
Écrite comme cela, l’affaire paraît incroyable et un brin surréaliste. Le cinquième pouvoir, chargé justement de jouer au chien de garde contre les abus des pouvoirs, se serait adonné à un espionnage digne des RG français? Il y a bien une part de vérité. Deux anciens policiers ont ainsi été victimes d’un tel piratage. Mais l’un des deux, John Yates, le haut responsable de Scotland Yard qui n’avait pas voulu rouvrir l’enquête en 2009, niera avoir fait l’objet d’un chantage.
Quoiqu’il en soit, si les journalistes sont à l’origine de ce scandale, l’affaire éclabousse donc aussi la police. Le patron de la police métropolitaine de Londres, trop proche d’un des mis en cause, doit par exemple démissionner. Elle touche également par ricochet le pouvoir. Andy Coulson, l’ancien rédacteur en chef du News of the World en 2007, qui était devenu le directeur de la communication du premier ministre David Cameron, prend aussi la tangente. Il sera finalement condamné à 18 mois de prison en 2014, la plus lourde peine du dossier.
Glenn Mulcaire passe lui quasiment entre les gouttes, avec six mois avec sursis. “Nous savons qu'il piratait des téléphones, qu'il était bon dans son domaine et que c'était un baratineur accompli”, résumait pourtant à son sujet en 2013 le parquet. Ironie de l’histoire : la suppression des messages vocaux de Milly Dowler, qui avait tant ému, n’était peut-être pas directement du fait du News of the World. C’était probablement une suppression automatique, une fonction standard 72 heures après leur lecture.
Rétrospectivement, on peut d’ailleurs se demander si News of the World n’a pas été un bouc émissaire. D’autres titres vont en effet faire face ultérieurement au même genre d’accusations, comme le Sunday People. Le groupe Mirror, en procès contre le prince Harry en juin 2023, a ainsi déjà payé 105 millions de livres sterling, une somme astronomique, pour indemniser des victimes de ce genre de piratage.
Le fait que ce genre d’histoire n’ait éclaté qu’en Grande-Bretagne est également intriguant. Le procédé technique devait pourtant être duplicable, au moins un temps, dans d’autres pays chez d’autres opérateurs. Ou même perfectionné, comme avec ce script pour faire de la force brute. On ne le saura sans doute jamais.
Dix ans plus tard, la technique utilisée peut faire sourire aujourd’hui. Déjà, plus personne ne laisse vraiment de messages vocaux sur les répondeurs mobiles, il y a des textos et des messages pour cela. Si ce n’était pas déjà le cas à l’époque, ce piratage des messageries avait au moins une portée limitée, puisqu’il ne s’agissait que de messages vocaux. C’était toutefois assez pour créer une brèche dans l’intimité. D’ailleurs, êtes vous vraiment sûr que toutes les applications que vous utilisez pour échanger soient bien protégées ?
On se retrouve en septembre pour de nouvelles histoires de cybercrime,
Bonne soirée,
Gabriel
Relecture: Mnyo
PS: L’histoire vous a plu? Si vous voulez me payer un café, vous savez ce qu’il faut faire (bc1qhx49fpxcnlpe35z4z2j4wmrazpvz7a3ejm4rex).
Sources
Phone hacker Glenn Mulcaire bankrupt over tax on News of the World earnings
Hacking investigations cost Met police £41.3m
Thousands of hacking victims yet to be contacted, says Met's Sue Akers
Murdoch papers paid £1m to gag phone-hacking victims
British Tabloid Sought Phone Data of Investigators
Andy Coulson jailed for 18 months over phone hacking
Milly Dowler voicemails 'may have automatically deleted'
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Merci