« On ne l’imagine pas basketteur le jour et hackeur la nuit »
Arrêté le 23 juin à Roissy à la demande de la justice américaine, Daniil Kasatkin conteste son extradition devant la chambre de l'instruction.
Bonjour,
Cette semaine, vous pouvez retrouver ici un de mes derniers comptes-rendus d’audience. Il s’agit de deux prévenus qui pour dissimuler leur retard dans leur job de développement logiciel ont simulé une fausse attaque par rançongiciel, enfin c’est ce qu’ils disent.
Mais ce n’est pas pour cela que je vous envoie ce mail. Je partageais jusqu’alors mes quelques notes d’audience sur mon compte Medium, je vais tenter de le faire plus régulièrement ici. C’est ce que fait par exemple le journaliste Thierry Levêque sur son blog, il l’a fait à de nombreuses reprises pour le procès Sarkozy-Kadhafi, j’ai trouvé ça pas mal.
Ce mercredi après-midi, j’étais donc à la cour d’appel de Paris, il y avait une audience devant la chambre de l’instruction à propos d’une demande de mise en liberté de Daniil Kasatkin, ce basketteur russe accusé d’avoir été un négociateur pour un groupe de rançongiciels. Il s’agissait bien de Conti, comme cela avait été supposé, a-t-on appris en écoutant la défense.
Pour rappel, la justice américaine demande son extradition dans cette affaire. Il se trouve que le basketteur russe a eu la mauvaise idée d’atterrir à Roissy le 23 juin dernier pour une sorte de pré-voyage de noces. Avant cette escale forcée, il jouait pour une équipe moscovite, après des études aux Etats-Unis. Les autorités judiciaires françaises l’ont donc fait arrêter en vue de son extradition, contestée par l’intéressé.
Ce mercredi, l’examen de sa demande a débuté vers 15h40, en présence du consul de Russie en France Alexey Popov - il a un peu vieilli depuis cette photo -, un auditeur assidu des audiences pénales parisiennes depuis l’affaire Alexander Vinnik.
La défense, représentée par l’avocat Frédéric Bélot, a d’abord soulevé un problème autour des pièces judiciaires. Faute de traduction, elle n’a pas eu communication d’un dossier complet, comme cela doit être dans les soixante jours, et donc il doit être libéré immédiatement.
Bon, cela aurait pu être un coup de théâtre, mais non. « Effectivement il y a des pièces qui ne sont pas traduites », mais ce délai de soixante jours, c’est pour s’assurer que l’Etat (demandeur) est toujours intéressé par la personne visée par la demande d’extradition, résume l’avocate générale - un peu vexée à juste titre qu’on lui ai donné un temps de « l’avocat général », au masculin.
Les magistrats se retirent pour délibérer, et sans surprise, rejettent la demande de la défense. Pour les juges de la chambre de l’instruction, le dossier est bien complet. Et « s’il est mentionné que tous les documents doivent être traduits, il n’y a aucun délai imposé pour la traduction », précise le président d’audience. Fin du premier round.
Les débats se poursuivent avec cette fois-ci l’examen au fond. Bon, pas de teaser trop alléchant, on ne va finalement pas apprendre grand chose sur ce qu’on reproche vraiment à Daniil Kasatkin. C’est l’examen au fond de la contestation de l’extradition, pas du dossier lui-même, ouvert vous l’avez vu par la justice américaine, pas française.
En gros, la défense conteste l’implication du prévenu. A son arrestation, l’avocat avait expliqué que son client s’était fait piéger en achetant un ordinateur d’occasion. « Celui-ci a soit été piraté, soit le pirate le lui a vendu pour agir sous le couvert d’une autre personne », résumait Frédéric Bélot.
Les débats ne sont pas rentrés aussi loin dans le détail. Mais on a appris deux trois trucs, outre l’évocation de l’implication de Conti, déjà mentionnée. La défense qui a dénoncé l’absence de preuves tangibles a ainsi signalé dans le dossier de l’accusation une capture d’écran d’une demande de rançon que le mis en cause aurait envoyée.
Elle a ensuite évoqué un compte Google, azumajamie@gmail.com, rapproché du basketteur, qui aurait très pu être celui d’un professeur d’histoire de « Penn State », l’université américaine fréquentée par le basketteur. La défense a également signalé une adresse IP, 212.102.45.68, si j’ai bien noté, pour remarquer qu’elle pouvait être difficilement un élément à charge car correspondant à celle d’un VPN. Amis chercheurs en sources ouvertes, cela fait déjà deux points de départ.
« N’importe qui pouvait » se connecter à ce VPN, poursuit l’avocat. Et aux dates des faits visés, « il était en plein championnat, on ne l’imagine pas basketteur le jour et hackeur la nuit », ajoute-t-il. « Nous estimons que la démonstration de l’implication est faite », lui a répondu l’avocate générale - je résume, bien évidemment.
La décision de la chambre de l’instruction a été mise en délibéré au 29 octobre. Vous pouvez retrouver la dépêche de l’AFP, présente à l’audience, ici par exemple. Dites moi si ce genre de compte-rendu judiciaire vous intéresse. Et on se retrouve de toute façon ce dimanche avec la suite de l’histoire de cybercrime en cours.
Bonne journée,
Gabriel
Mise à jour du 29 octobre 2025: la cour d’appel a finalement approuvé l’extradition de Daniil Kasatkin.


