Celui qui avait débuté par des piratages
Il était l'un des hackers les plus talentueux d'Australie. Mais avait-il vraiment raccroché?
Bonjour,
Bienvenue pour la fin de cet épisode de Pwned sur la tentaculaire histoire de Julian Assange. N’oubliez pas, si vous appréciez la newsletter, vous pouvez la partager autour de vous.
Résumons les deux premiers épisodes de cette série. En 2010, le site WikiLeaks, dédié aux fuites de données, fait un tabac avec ses scoops retentissants. Son fondateur Julian Assange devient une véritable star. Accusé en Suède de viol et d’aggression sexuelle, il se réfugie dans l’ambassade d’Equateur à Londres. En criant à un complot ourdi par les Etats-Unis, l’informaticien australien a choisi une défense de rupture.
Avec un certain succès, puisque la procédure suédoise passe bien à la trappe après son enlisement. Mais au final, on a l’impression que Julian Assange s’est pris au piège tout seul dans l’ambassade. Un réflexe de fuite que l’on retrouve d’ailleurs dans son histoire personnelle.
Comme le rappelle la journaliste italienne Stefania Maurizi dans son livre, “L’affaire Wikileaks”, Julian Assange est né en juillet 1971 à Townsville, sur la côte nord-est de l’Australie. Ses parents se sont rencontrés dans une manifestation contre la guerre du Vietnam. Puis ils se séparent, c’est pour cela que Julian porte le nom de son beau-père.
Au New-Yorker, l’intéressé avait dépeint une enfance à la “Tom Sawyer”, avec son propre cheval, son radeau et des aventures dans les puits et les tunnels des mines. Avant que la famille, après que sa mère ne se soit remariée avec un musicien proche d’une secte, ne soit forcée de fuir un gourou.
Une belle histoire, mais peut-être sujette à caution. Comme le remarquent Guillaume Ledit et Olivier Tesquet, l’ancien proche allemand de WikiLeaks, Daniel Domscheit-Berg soulignait la tendance d‘Assange à créer du mystère autour de son personnage en “enrichissant en permanence son passé de nouveaux détails”.
L’autre point clé de l’enfance de Julian Assange est sa découverte de l’informatique, avec l’ordinateur culte Commodore 64. L’Australien prend le pseudo de Mendax, une référence au splendide mendax d’Horace, ce menteur au nom du bien public. L’adolescent va donc plonger dans le monde du hacking. Au sens historique du terme: de la bidouille, de la curiosité plus ou moins bien placée. Mais pas de destruction ou de recherche d’enrichissement illicite.
Son principal fait d’armes va être le piratage de l’entreprise canadienne de télécommunications Nortel. Ce qui lui vaudra à 25 ans, en 1996, une condamnation judiciaire à 2100 dollars australiens d'amende. La sanction est modeste car le juge estime que le pirate n’a pas agi pour s’enrichir mais par intérêt pour l’informatique. Entre-temps, le prévenu a même fait preuve de bonne volonté en apportant son aide à la police de Victoria chargée de lutter contre la pédopornographie en ligne.
Mais il y a eu peut-être d’autres aventures épiques, comme celle du ver informatique Wank. Ce programme malveillant aux airs potaches qui avait ciblé la Nasa en 1989 ne supprimait aucun fichier. Mais il lançait des messages inattendus tels que “Le FBI vous surveille” ou “Votez anarchiste”.
L’intéressé en parle d’ailleurs dans le livre qu’il a coécrit avec la chercheuse australienne Suelette Dreyfus. On y retrouve une description très précise de l’attaque informatique. “Comme de nombreux hackers australiens, le créateur du ver Wank a émergé des ombres de l’underground informatique, s’est levé momentanément dans la brume, puis a disparu à nouveau”, concluent-ils, énigmatiques. L’implication d’Assange dans Wank est jugée crédible par les reporters David Leigh et Luke Harding dans leur bouquin. Après tout, il était en 1991 “certainement le hacker le plus chevronné d’Australie”.
C’est un background particulièrement intéressant au vu des accusations judiciaires autour de WikiLeaks. Après avoir lancé la plateforme de fuite de données, Julian Assange a-t-il vraiment renoncé au piratage, finalement bien pratique quand on n'arrive pas à obtenir ce que l’on veut? Après le premier acte d’accusation dont je vous avais parlé la semaine dernière, les poursuites s’élargissent une première fois en mai 2019. “Julian Assange n’est pas un journaliste”, assure le ministère public. Une affirmation contestable et bien pratique pour l’inculper cette fois-ci sur la base de la fameuse et redoutée loi sur l’espionnage.
Le 24 juin 2020, rebelote: un nouvel acte d’accusation est dévoilé. Il s’agit, précise la justice américaine, d’étoffer les accusations autour des piratages informatiques. Une façon de discréditer Assange, juge la défense, en le présentant comme un hacker ou quelqu’un qui s’associe à des hackers. Avouons-le : en matière de preuve judiciaire, la seule discussion autour du hash d’un mot de passe avec Chelsea Manning manquait de peps. Certes, Assange proposait d’aider à casser le mot de passe, mais cela n'avait abouti à rien. Selon la fondation de défense des libertés numériques EFF, le bout de hash fourni par Manning n’aurait même jamais pu permettre de retrouver le mot de passe originel.
Mais dans le nouvel acte d’accusation, les poursuites sont plus étoffées. Par exemple, le parquet rappelle d’abord que lors d'une conférence aux Pays-Bas en 2009, Julian Assange a appelé des pirates à voler et à transmettre des documents à la plateforme. Une déclaration qui va bien plus loin qu’un légitime appel à des sources ou à de potentiels lanceurs d’alerte.
L’acte d’accusation signale ensuite le cas d’un mystérieux adolescent de 17 ans, incité par Assange à pirater au début de l’année 2010 des ordinateurs d’un gouvernement d’un pays membre de l’Otan. Visiblement, il est fait ici référence au rocambolesque Sigurdur Thordarson, alias “Siggi”. Le jeune islandais était devenu à l'époque le “Robin” du Batman Assange. Le créateur de WikiLeaks était tombé sous le charme de l’adolescent hacker et rebelle, devenu “son garçon de courses et son confident”, écrivait le magazine Rolling Stone.
A la demande d'Assange, Siggi fouine ainsi dans les réseaux informatiques afin de trouver de nouvelles informations pour WikiLeaks. Puis il contacte un premier groupe, Gnosis, avant ensuite d’être introduit auprès de Sabu, l'un des pirates du groupe LulzSec. L'adolescent islandais organise d'ailleurs un appel Skype entre les deux hommes. Sauf que… c’est à cette même période que Siggi retourne sa veste. Le 23 août 2011, il envoie un email à l’ambassade américaine pour proposer un rendez-vous. Le jeune Islandais n’arrive pas les mains vides : il amène avec lui des disques durs remplis de données accumulées au fil des jours passés aux côtés de WikiLeaks.
Siggi ne s'explique pas vraiment sur les raisons de ce revirement, une soudaine prise de conscience ou un goût pour l'aventure, explique-t-il à la fois au journaliste de Wired qui l'interroge à ce sujet. Mais la conséquence de sa défection est d'une ironie mordante : la plateforme de fuite de données est elle-même victime d’une fuite d’ampleur.
Au contraire des poursuites contre Julian Assange, le FBI exploite prestement ces informations pour identifier les sources de WikiLeaks. Jeremy Hammond sera ainsi condamné en novembre 2013 à dix ans de prison pour le piratage de la firme de renseignement Stratfor.
L’histoire ne s’arrête pas là. Grâce à l'entremise de Siggi, Assange est entré en contact avec Sabu, le leader du groupe Lulzsec. Le 21 février 2012, le fondateur de WikiLeaks suggère de voler des données à la CIA, à la NSA ou au prestigieux New-York Times. Ce qui est dingue, et on ne le saura qu’après, c’est que Sabu est également un informateur du FBI. Hector Xavier Monsegur, son vrai nom, a en réalité été arrêté dès juin 2011. Cela fait donc plusieurs mois qu’il collabore avec les autorités. Il écopera en échange d’une peine relativement clémente trois ans plus tard. Autant d’histoires sur lesquelles on reviendra plus en détail dans Pwned, promis.
Quelque part, la messe est dite. Après des années de bataille judiciaire, Julian Assange accepte de plaider coupable à la fin du mois de juin 2024. Il écope de 62 mois de prison, déjà effectués en Angleterre de 2019 à 2024, puis file aussitôt vers l’Australie. On l’avait surpris, hirsute et affaibli, derrière la vitre du van le conduisant devant ses juges.
Bien plus tard, ce mardi 1er octobre 2024, il a retrouvé son sourire ironique. Le quinquagénaire élégant, en costume-cravate sur chemise blanche, vient d’être invité à Strasbourg au Conseil de l’Europe. Une liasse de papier à la main, le texte de son intervention, l’ex-journaliste savoure ce moment. Le voici désormais à la tribune. Il écoute poliment Richard Keen, cet avocat britannique qui préside la commission des questions juridiques et des droits de l’homme, l’introduire, avant d’être chaudement applaudi.
Les lèvres pincées, Julian Assange lève le poing, serré. “J'ai plaidé coupable d'avoir fait du journalisme”, assure-t-il. Pour lui, la controverse sur les poursuites qui le visaient est loin d'être terminée. Pourtant, le turbulent et encombrant créateur de WikiLeaks semble déjà appartenir à une autre époque.
Oui, la plateforme a montré une partie du chemin: des grandes bases de données sont un support d’enquête journalistique (ou judiciaire) indispensable. Mais il existe d’autres façons de faire ce travail d’enquête, sans personnalisation à outrance ni appels du pied inopportuns à des hackers de tout poil.
On a toutefois sans doute pas fini d’entendre parler Assange. Outre sa guérilla judiciaire, financée à hauteur de 45 millions de dollars, son organisation, grâce au soutien des “crypto-bros”, est désormais à la tête d’un trésor de guerre de 4000 bitcoins, soit plus de 200 millions de dollars.
A bientôt pour une nouvelle histoire de cybercrime,
Bonne journée,
Relecture: Mnyo.
Cet épisode a également bénéficié indirectement des conseils de la très pédagogue formatrice au journalisme narratif Florence Deguen.
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Sources
10 choses que vous ignorez peut-être sur Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks
‘Splendide Mendax’: Authors, Characters, and Readers in Gulliver’s Travels
Wank : comment des hacktivistes ont infiltré un ver dans les ordinateurs de la Nasa en 1989
Underground: Tales of Hacking, Madness and Obsession on the Electronic Frontier
WikiLeaks: Inside Julian Assange's War on Secrecy
Remarks from the briefing announcing the superseding indictment of Julian Assange
WikiLeaks Founder Charged in Superseding Indictment
The Selective Prosecution of Julian Assange
Une source de WikiLeaks condamnée à dix ans de prison
Le hacker «Sabu» gagne sa liberté en collaborant avec le FBI
Pourquoi l'histoire d'amour entre Julian Assange et les fans de Bitcoin est importante