Celui qui n’aurait pas dû travailler sur une base de données hébergée aux USA (1/3)
Alexander Vinnik est un suspect très demandé: après les Etats-Unis, la Russie appelle également à son extradition.
Bonsoir !
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Au fait, deux ajustements à vous signaler. Les mails vous sont désormais envoyés le samedi soir, c’est plus simple à gérer. Et comme pour cette série, les histoires en plusieurs volets s’étaleront sur plusieurs week-ends, histoire de faire durer le plaisir.
Alors, je vous avais dit la dernière fois qu’il y avait pas mal de choses à dire sur Alexander Vinnik. Voici donc une première suite. Cette fois-ci, on va se concentrer sur l’enquête française.
Il y a quinze jours, on a vu qu’Alexander Vinnik, surnommé M. Bitcoin, a été arrêté en Grèce à la demande de la justice américaine.
Ça ressemble alors à une histoire très classique. Les Etats-Unis ont identifié un suspect. Ils mettent la main sur lui lors d’un déplacement à l’étranger. Il est extradé et est jugé, fin de l’histoire.
Bon, vous l’avez compris, si on en parle ici c’est que les choses ne se sont pas passées comme cela. A peine quelques jours après son arrestation, la Russie lance à son tour un mandat d’arrêt international, le 10 août 2017.
Selon DailyThess, la justice russe suspecte Alexander Vinnik d’avoir trempé dans une fraude d’environ 670 000 roubles (environ 10 000 euros à l’époque). Les Etats-Unis et la Russie demandent donc toutes deux l’extradition d’Alexander Vinnik: les premiers pour un blanchiment de plusieurs milliards de dollars, les seconds pour une petite fraude.
Qui aura gain de cause en Grèce? On ne dirait pas, mais le match juridique est incertain.
Comme le relève le magazine russe RBC, en 2012, Dmitry Zubakha, un hacker moscovite soupçonné de deux attaques en déni de service contre Amazon, avait par exemple réussi à échapper à la justice américaine.
Arrêté à Chypre à la demande des Etats-Unis, il avait finalement été extradé vers la Russie pour une autre affaire de cybercrime. Il avait été alors condamné un an plus tard à de la prison avec sursis. Son avocat? Timofey Musatov, également défenseur, cinq ans plus tard, d’Alexander Vinnik.
Une stratégie décortiquée dans cet article du New York Times. “Aussi farfelue que cela puisse paraître, la tactique a empêché à plusieurs reprises des Russes soupçonnés d'être des criminels informatiques d'être expulsés vers les États-Unis alors qu'ils étaient détenus en Europe”, remarque le quotidien New-Yorkais.
“La tactique a fait naître des soupçons selon lesquels les autorités russes sont plus intéressées à faire dérailler les enquêtes américaines et éventuellement à protéger les criminels qu'elles trouvent utiles qu'à lutter contre la cybercriminalité”, poursuit l’article.
Le duel judiciaire va être doublé d’une campagne de presse intense pour sensibiliser l’opinion russe sur les mésaventures d’Alexander Vinnik. Rien d’inédit. On a tous en mémoire les nombreux articles de presse s’inquiétant sans nuances du sort d’un compatriote français à l’autre bout du monde poursuivi par la justice locale.
Je pense que le cas le plus emblématique est celui de Florence Cassez. Les déboires judiciaires de l’ancienne compagne d’Israel Vallarta, le chef d’un gang de kidnappeurs, avait ému les Français et poussé le président Nicolas Sarkozy à intervenir. Ce qui avait évidemment en retour irrité au Mexique.
Ce qui est arrivé à Florence Cassez a été terrible, je ne le souhaite à personne. Rappelons que sa condamnation sera finalement annulée par la justice mexicaine. Mais je me souviens de l’étonnement de confrères à l’époque sur la très faible prise de distance sur ce sujet de nombreux médias français.
Et bien en Russie, c’est aussi la même chose. Lisez donc cette tribune d’Igor Ashmanov, sur le site gouvernemental Russia Today, en avril 2018. Cette figure de la tech locale s’insurge contre le rapt d’informaticiens russes de talent sous couvert de procédures judiciaires. Dans ce who’s who du cybercrime, Alexander Vinnik est le numéro 18. L'argument peut paraître farfelu, mais il reviendra dans la stratégie de défense de M. Bitcoin en France.
Les Américains ont arrêté ce spécialiste technique pour reprendre le contrôle des crypto-monnaies, nous dit également Igor Ashmanov. Et pour le faire participer à des attaques médiatiques contre la Russie, ajoute-t-il, en référence à l’enquête du procureur Robert Mueller, chargé des investigations sur les ingérences russes lors de l’élection présidentielle américaine de 2016.
On en est là quand tout d’un coup, un petit grain de sable va gripper cette mécanique. Un grain de sable français.
La suite la semaine prochaine.
Bonne soirée,
Gabriel
Relecture: Mnyo
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Sources
Celui qui n’aurait pas dû aller en vacances en Grèce (1/2)
FBI contre BTC-e : comment le plus grand échange de crypto-monnaie russe s'est effondré
Russian Hacker Arrested In Cyprus For 2008 Cyber Attacks On Amazon.Com
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